"Mait'Jean"
L'Histoire de l'Europe des patries charnelles, compte des héros et des capitaines, qui tous par leurs actes et leurs pensées, nous ont laissé à la fois un héritage et un chemin à suivre...
Le 29 mars 2006, disparaissait Jean Mabire, à l'âge de 79 ans...
Le site "Les Amis de Jean Mabire" le lien ici : Jean Mabire
« Au milieu d’un monde à la dérive, nous sommes seuls. Nous sommes tragiquement seuls. Nous n’avons rien à voir avec toutes les formules commodes qui permettent toujours d’entrer dans une des chapelles bien étiquetées de l’échiquier politique. Nous naviguons sur une mer inconnue et personne ne peut comprendre vers quels continents nous cinglons. Nous ne sommes à l’aise nulle part. Mais si chaque parti nous est étranger, chaque militant reste notre frère. Un véritable activiste refuse toutes les formations de l’heure mais il accepte tous les hommes de courage. Et c’est pourquoi nous sommes joyeusement seuls.
C’est justement parce que nous refusons toutes les compromissions et toutes les manœuvres que nous serons le plus pur métal de l’alliage de demain. »
Jean Mabire : L’écrivain, la politique et l’espérance.
"O capitaine, mon capitaine"
Extrait du film "Le cercle des poètes disparus"
Il fut beaucoup plus que cela
Préface de Dominique Venner
à la bibliographie de Jean Mabire réalisée par Alain de Benoist

« Non, ce n’est pas ce que tu crois… » Ajouta-t-il en retenant un fou-rire. « Je ne suis pas comme le vieux Maurras. J’entends quelqu’un qui vient, mais c’est l’infirmière… »
Les initiés savent qu’en novembre 1952, la veille de la mort de Charles Maurras, dans une clinique de Tours, après une longue détention, de pieuses personnes avaient prêté au vieux maître de l’AF ces mots sibyllins : « J’entends quelqu’un qui vient… ». Elles suggéraient ainsi que le vieux mécréant, sur son lit de mort, dans sa complète surdité, aurait opéré un improbable ralliement de dernière minute au Dieu chrétien qu’il avait exécré toute sa vie (1).
Cette fable ne pouvait convaincre que de bonnes personnes ayant besoin de se rassurer. Mais elle amusait Jean Mabire qui n’était pas dupe.
Jean Mabire a écrit
une centaine de livres :
Un écrivain puissant, protéiforme et poétique
Tous ceux qui l’ont connu de près se souviennent de l’ami, du complice, drôle, narquois, entraînant, modeste, enthousiaste. Ils restent à jamais marqués par le souvenir de l’homme de convictions et de fidélité, généreux, ignorant la rancune et le ressentiment, incapable même d’inimitié. Pour eux, il ne fut que joie communicative et amitié.

Mais tout cela n’est qu’une part seulement de son talent d’écrivain et de journaliste incroyablement fécond qui a tant fait pour les auteurs et les poètes normands (2).


La “Communauté de Jeunesse”
Ce qu’il y a d’étonnant chez ce fou de littérature, ce dévoreur de livres, c’est qu’il était le contraire d’un rat de bibliothèque. Jusqu’à ses toutes dernières années, il avait besoin de partir sac au dos, camper en pleine nature avec ses copains de la belle étoile, comme aurait dit Saint-Loup.



Le ré-enracinement de la revue “Viking”

En ce temps-là, Jean étudiait à l’Ecole des Métiers d’Arts (section vitrail) de la rue de Thorigny. Peu après, en 1949, il fonde sa propre revue devenue mythique, Viking, consacrée à la culture des pays normands. À cette époque lointaine, les tracts et les petites revues étaient tirés à la ronéo, invention disparue. Il fallait taper les textes à la machine, en ôtant le ruban, sur un “stencil”, sorte de pellicule opaque qui devenait ainsi perméable à l’encre. C’était déjà tout un travail. Mais pour dessiner sur stencil, il fallait être un artiste d’une habileté rare. Comme pour la gravure sur cuivre, l’exercice ne permettait pas l’erreur. Une jeune femme blonde, qui allait devenir la première Mme Mabire et la mère d’Halvard, Nordahl et Ingrid, encadrait et illustrait ainsi Viking d’images d’une mystérieuse beauté, runes et roues solaires, transposant dans cette technique l’art des miniaturistes médiévaux (6). Tristan Mandon avait acheté aux Puces une ronéo Gestetner à manivelle. Avec elle, il a “tourné” les seize premiers numéros de la revue qui a imposé le fait culturel viking, complètement inconnu des Français, fussent-ils Normands.
L’expérience de la guerre d’Algérie

Cette expérience de la petite guerre devait imprimer son empreinte à jamais. Elle ne sera pas seulement à l’origine d’un roman très personnel, Les Hors la loi (1968), republié plus tard sous le titre Commandos de chasse. Elle établira un lien de forte solidarité avec la génération de la guerre d’Algérie. Elle lui fera connaître Philippe Héduy, bientôt son ami, auteur inspiré du magnifique roman Au lieutenant des Taglaïts. Héduy l’attirera fin 1962 dans l’aventure de L’Esprit public. Ce journal, conçu par Jacques Laurent, Roland Laudenbach et Raoul Girardet, était en quelque sorte la façade légale de l’OAS. Ce n’est pas ce qui intéressait Jean Mabire. Il se sentait solidaire des “soldats perdus”, tout en tenant à distance les idées politiques dites de l’Algérie française. Il s’en expliquera très clairement dans son essai Drieu parmi nous, publié en 1963 à la Table Ronde.


L’aventure fondatrice d’Europe Action


J’avais fait la connaissance de Jean Mabire en avril 1965. Nous avions tous les deux vécu la guerre d’Algérie, suivie pour ma part d’engagements pugnaces. Je lui proposai de devenir le rédacteur en chef de la revue Europe Action, fondée en janvier 1963, peu après ma sortie de prison. Là s’est forgée notre amitié, notre estime commune, notre complicité. Il m’est difficile d’en parler aujourd’hui en faisant taire mon émotion. Je préfère céder la parole à Jean. Avec ses propres mots, il a su parler de cette expérience unique vécue en commun : « Je n’ai rencontré Dominique Venner qu’au printemps 1965. Tout de suite “Dom” et très vite “tu”. Il venait d’avoir trente ans, le bel âge. J’en avais trente-huit. […] Entre juin 1965 et novembre 1966, nous avons vécu, côte à côte, en responsables et militants tout ensemble cette singulière aventure. Seize mois embarqués à bord du même brick corsaire. Lui directeur politique et moi rédacteur en chef. Mais aussi soutiers, pilotes, galériens, toutes les corvées et toutes les joies (10)… »
« Il fallait sortir le journal tous les mois, dans une atmosphère de pauvreté franciscaine qui nous allait bien au teint. Pauvreté, certes. Mais aussi richesse. Richesse d’un courage, d’une amitié que je n’avais pas connus depuis bien longtemps et que je ne suis sans doute pas près de retrouver. J’ai rarement été si enthousiaste et si “croyant”. »
Ce fut écrit, on peut le souligner, en novembre 1994. Jean poursuivait : « Je croyais qu’on pouvait gagner. Non pas prendre le pouvoir comme l’imaginaient les naïfs. Mais former les cadres révolutionnaires de demain… Quelques centaines de garçons et quelques dizaines de filles ont participé à cette aventure. Ceux de la Fédération des Etudiants nationalistes, notre FEN à nous, et des Cahiers Universitaires. »

D’autres aventures et les “Oiseaux migrateurs”

Les aventures n’étaient pas terminées, loin de là. Tout en poursuivant le travail titanesque de Que Lire ? et en publiant toujours de nouveaux récits, Jean apportait son soutien enthousiaste et compétent au mouvement des “Oiseaux Migrateurs”, créé par des jeunes las de l’activisme lors du solstice d’hiver de 1991. Aucune initiative n’était mieux faite pour lui. Elle réveillait le souvenir de la “Communauté de Jeunesse” d’autrefois, avec un dynamisme remarquable et une nouveauté de taille puisqu’il s’agissait d’un mouvement mixte (11). Les participants étaient tous jeunes, garçons et filles. Je peux témoigner du choc admiratif que fut ma première rencontre avec eux. J’étais venu présenter un exposé à la demande de Jean, “Maît’Jean”, comme l’appelaient désormais ses jeunes disciples. C’était à l’occasion d’une “Haute Ecole Populaire” (12). Remarquable initiative qui lui était due.
Au cours d’une fin de semaine, le groupe se réunissait dans un logis campagnard normand, faisant alterner randonnée, chants, veillée et formation de l’esprit. Les deux journées étaient scandées par un rituel strict et souriant. Les garçons étaient en pull marin, knickers bruns et vestes de chasse. Les filles – très jolies, ma foi - en jupes longues accordées aux tenues masculines. Visages clairs et toniques, ambiance énergique et joyeuse. Des conférenciers venaient traiter à titre amical une grande diversité de sujets. Jean participait aux activités de ses “Oiseaux” sur un strict pied d’égalité, appliquant à la lettre son idée d’un “socialisme européen”, en rupture complète avec la ségrégation sociale de la bourgeoisie française, partageant sa gamelle avec les camarades.
Il a fait vivre un rêve
La rusticité ne lui avait jamais pesé. Durant une longue période des années 70 et 80, il s’était déplacé de gîte en gîte à bord d’un break aménagé en bibliothèque. Il pouvait même y dormir. À cette époque, j’avais planté ma tente entre mes livres et mes fusils de chasse dans une vieille maison à la jonction des forêts de Compiègne et de Retz. En marchant vers l’ouest, on grimpait un raidillon sablonneux dans un décor de buissons secs qui me rappelait la maison fortifiée d’Aïn Zana, au temps de la guerre d’Algérie et de mes vingt ans. Il nous fallait veiller sur la frontière tunisienne par où s’infiltraient les fels. Le « barrage » n’était pas encore édifié, que Jean connaîtra plus tard à la tête d’un commando de chasse. Mais de ces histoires d’anciens combattants, nous parlions peu. Nous avions tant à dire sur l’avenir que nous voulions bâtir !
Souvent, Jean venait travailler et se détendre dans mon repaire. Je me pliais à l’horaire de sa journée. Début du travail tôt le matin. Et cela durait jusqu’en fin de journée, avec une pause rapide pour déjeuner. Quand sa machine à écrire cessait de crépiter, nous chaussions bottes ou chaussures de marche pour de longues ballades en forêts. Je lui faisais découvrir la silhouette fugace d’une biche ou d’un chevreuil. Puis retour au logis pour une soirée devant la cheminée. Des saucisses grillaient sur les braises, le vin nous réchauffait l’âme. Nous parlions du présent, du passé et de l’avenir. Jean avait toujours une nouvelle anecdote comique à sortir de sa besace. Il racontait avec gourmandise, se retenant de rire jusqu’à la conclusion.
- Tu sais ce qu’Anna de Noailles disait de Dieu ?
- Je sens que tu vas me le dire. J’ai seulement retenu que cette païenne résolue, auteur d’innombrables poèmes un peu oubliés, était une grande bavarde.
- Tout juste. Elle déclare un jour à un ami : « Si Dieu existait, je le saurais. Je m’adresse à lui chaque jour, et il ne m’a jamais répondu… » Réplique de l’ami : « C’est peut-être que vous ne lui avez pas laissé placer un mot. »
Nous mêlions à ces blagues les sujets plus graves qui nous tenaient à cœur. Pour Jean, littérature et politique ne pouvaient être séparées. Mais il ne faut pas se tromper sur les mots. Quand il disait “politique”, il n’entendait pas la cuisine médiocre qui alimente les journaux de potins. Pour lui, politique signifiait “vision du monde et de la vie”. Il en avait gardé le sens qu’on lui donnait souvent durant la première moitié du XXe siècle, quand la politique se faisait religion et que l’on pouvait mourir pour elle.
Jean Mabire n’a pas fabriqué un système, il a fait vivre un rêve. Il a ouvert une voie et laissé un modèle : celui d’un homme qui a toujours vécu en accord avec ses idées. Ses talents lui auraient permis de faire une carrière enviée dans la presse et l’édition de son temps à condition de se renier. C’était pour lui impensable et infaisable. Il a choisi de rester fidèle aux réprouvés parmi lesquels il se sentait bien. Dans Drieu parmi nous (1963), il écrivait : « Nous avons juré de ne jamais devenir des conformistes ». C’est ce qui assurera sa pérennité.
Dominique Venner (1935-2013)

2 Dans la copieuse préface qu’elle a donnée au livre de Jean, Des poètes normands et de l’héritage nordique (Editions Anthée, 2003), Katherine Hentic, sa deuxième épouse, a très bien dit ce que furent ses efforts constants en faveur de ces méconnus.

4 Tristan Mandron. Entretien recueilli par le Bulletin des Amis de Jean Mabire, n° 15, solstice d’été 2007.
5 Jean Mabire, Ce que je dois à Olier Mordrel, Éléments, Hiver 1985, p. 53.

7 Certains articles écrits par Jean Mabire dans ce quotidien seront réunis en un volume sous le titre Pêcheurs du Cotentin (Editions Heimdal, Caen 1975). Ses souvenirs de journaliste seront le prétexte à un roman sur l’atmosphère pittoresque de la presse avant la révolution informatique, L’Aquarium aux nouvelles (Editions Maître Jacques, Caen, 2000).
8 Jean Mabire, Drieu parmi nous, La Table Ronde, 1963, p. 51.
9 Id, p. 241.
10 Jean Mabire, article publié dans le journal Présent du 26 novembre 1994 sous le titre Dominique le rebelle. Il s’agissait d’une longue évocation de mon essai autobiographique Le Cœur rebelle (Belles Lettres, 1994).
11 La fondation des “Oiseaux Migrateurs” et la participation de Jean Mabire à la vie de ce mouvement a été évoquée notamment par Benoît Decelle dans le Magazine des Amis de Jean Mabire, n° 26, Printemps 2010.
12 L’appellation “Haute Ecole populaire” avait été imaginée au XIXe siècle par Nicolas Grundtvig, sorte de prophète danois d’un retour au paganisme nordique, sans cesser d’être pasteur de l’Eglise luthérienne. Jean Mabire a longuement évoqué sa figure dans son livre Les grands aventuriers de l’histoire. Les éveilleurs de peuples (Fayard, 1982).
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Émission n°44 de Méridien Zéro (08-04-2011)
"Un homme, un destin : Jean MABIRE"
Enregistrement de l'émission ici :
Hommages à Jean Mabire par Pierre Vial
HOMMAGE A JEAN MABIRE
A PROPOS DE "THULE"
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